Traiettoria (trajectoire) est un cycle de trois pièces pour piano et sons de synthèse réalisés par ordinateur : Traiettoria ... deviata (trajectoire ... déviée) a été composée à Vérone en 1982, Dialoghi (dialogues) à Paris en 1983 et Contrasti (contrastes) à Cambridge, USA en 1984. Les sons de synthèse de cette pièce ont été réalisés par ordinateur au Centro di Sonologia Computazionale de l'Université de Padoue et à l'Ircam, et enregistrés sur disque compact. La pièce a été créée dans son intégralité le 22 septembre 1985 par Adriano Ambrosini, piano, et Marco Stroppa, diffusion du son, à la Biennale de Venise.
Dans la situation technologique actuelle, l'exécution de la pièce prévoit l'amplification du piano par deux haut-parleurs placés à côté de l'instrument, l'enregistrement des sons synthétiques sur disque compact et leur diffusion par un ensemble de haut-parleurs placés, l'un sous le piano, en direction de la table d'harmonie, les autres autour du public. Cette diffusion est en fait une véritable interprétation de l'espace, qui doit être assurée par un deuxième musicien à la table de mixage suivant les indications de la partition. (...)
A l'origine, Traiettoria ne devait être qu'une courte pièce pour piano seul, une sorte d'exploration structurée de certains domaines sonores de l'instrument, poussée par l'extension de la démarche compositionnelle au contrôle du comportement microscopique du matériau sonore du piano. Dérivée des expériences et des connaissances que le compositeur était en train d'acquérir dans le domaine de la synthèse sonore, cette exploration constitue le début de Traiettoria... deviata. Des fragments sonores travaillés de l'intérieur par des figurations pianistiques de plus en plus complexes et des résonances modelées par une fine manipulation des trois pédales, ou « brisées » en harmoniques dissociées, s'agglutinent autour de cinq hauteurs pivots (do, la bémol, ré, sol, do dièse), cherchant à constituer note à note l'un des accords fondamentaux des trois pièces. Mais l'application de cette démarche, jusqu'à ses conséquences extrêmes, épuise rapidement les ressources de l'instrument. L'univers sonore créé par le jeu du pianiste nécessite une sorte d'extension vers des mondes sonores pouvant réaliser les développements induits par les processus de composition, mais impossibles à réaliser au piano seul. C'est au moment où cette extension devient indispensable que le matériau synthétique fait irruption dans la pièce. Ainsi, à la fin de la première partie pour piano seul de Traiettoria... deviata, les sons synthétiques se mêlent imperceptiblement avec la résonance de l'accord « cherché » lors de la partie soliste initiale et en transforment le timbre et la densité, jusqu'à un cluster qui semble saturer la résonance. La fin de Contrasti en est un autre exemple frappant : le piano, ayant atteint ses limites extrêmes de registre et de dynamique, se laisse totalement relayer par l'ordinateur (celui-ci récapitule seul quelques figures pianistiques de la pièce, qui reviendront, après un parcours élaboré, à l'accord fondamental de Traiettoria... deviata — le répétant à toute vitesse avec des éléments rythmiques très incisifs en surimpression — pour le « briser » enfin en « rayons » sonores montant dans un registre de plus en plus aigu). (...)
Du point de vue macroscopique, les trois mouvements de Traiettoria présentent une alternance de parties de piano ou ordinateur seuls ou de parties d'ensemble, organisée selon le schéma suivant :
- Traiettoria... deviata : piano / ordinateur / ensemble
- Dialoghi : ensemble / piano / ensemble / ordinateur / piano
- Contrasti : ordinateur / piano / ensemble / ordinateur
Les enchaînements des parties entre elles sont toujours des cas de figures différents, allant de la simple juxtaposition jusqu'au fondu enchaîné le plus élaboré. Par ailleurs, l'œuvre entière est parcourue par un véritable réseau d'interférences multiples : anticipation, citation ou réminiscence dans une partie d'un élément développé dans une autre. Ce réseau dégage un jeu de mémoire qui enrichit de sa dimension originale la linéarité du jeu des trajectoires. (...)
Pierre-Laurent Aimard et Marco Stroppa, Paris, janvier 1992 (extrait des notes de programme du CD publié par WERGO)