Trois « folies religieuses » : Les Diables de Loudun (1969) de Krzysztof Penderecki, Infinito nero (1998) de Salvatore Sciarrino et Exercices du silence (2008) de Brice Pauset
La représentation de la « folie religieuse » traverse trois œuvres lyriques de l’après-guerre : Les Diables de Loudun, d’après le récit d’Aldous Huxley, Infinito nero, sur des textes de Maria Maddalena de’ Pazzi, et les Exercices du silence, dédiés aux expériences extrêmes de Louise du Néant. C’est d’abord de vérité religieuse, d’approche spirituelle du délire, qu’il est question, avant que Charcot et Janet n’exercent leur science médicale et que la psychiatrie moderne ne voie dans ces agitations convulsives les symptômes d’une maladie. Les personnages s’y situent donc à cette intersection entre, d’une part, la religion et le verbe de la Renaissance tardive ou du Grand Siècle, et d’autre part, une certaine psychologie du mystique, dans le regard et l’iconographie bien connues de la Salpêtrière. Nous étudierons ces trois œuvres mettant en scène, par des hommes, des femmes psychotiques, névrotiques ou perverses, ou présumées telles – un male gaze nous invitant à une théorie du genre, dans une forme, l’opéra, où ce genre s’exprime volontiers avec emphase. Il s’agit alors, comme chez Brice Pauset, de composer l’historicisation de la pathologie :
après les cris et la « possession », viennent la négation, l’abandon de soi, l’extase de Louise du Néant, qui avait aimé la chair et en scrute désormais la décomposition, tournant autour des ulcères, des varices ouvertes et des peaux vérolées, sur lesquelles elle appose ses lèvres ; 2. l’abondante littérature psychologique de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle sur ce type de cas (L’Expérience religieuse, de William James, De l’angoisse à l’extase de Pierre Janet, Le Surnaturel et les dieux d’après les maladies mentales de Georges Dumas…, dont Brice Pauset s’inspire des descriptions cliniques pour ses gestes musicaux) ; 3. l’expérience contemporaine, enfin, d’une « schize » de l’espace musical et, donc, de la désorientation sensorielle, qui dénote, elle, d’autres internés.
Musique et maladie : jour 2
Entre histoire de la musique, histoire de la médecine et philosophie des sciences dans le monde occidental, ce colloque international se propose d’interroger les conditions et les méthodes de leur dialogue à l’âge moderne, du XVIIIe siècle à nos jours : études de cas, pathographies d’artistes, maladies et représentations du malade à l’opéra, spécialités médicales, psychiatriques, cardiologiques ou pneumologiques, à l’aune de l’œuvre… Comment comprendre la place accordée à la musique et au musicien dans les écrits médicaux, qu’ils relèvent de l’anatomie, de la physiologie ou de la thérapie ? Que retenir de l’intérêt des artistes eux-mêmes pour les sciences médicales ? Prises au sérieux et non réduites au rang de curiosités, ces questions ouvrent un vaste champ d’études, celui du corps du musicien, créateur aussi de symptômes.
Comité scientifique :
- Vincent Barras (Institut des humanités en médecine, Lausanne)
- Laurent Feneyrou (CNRS – STMS, Paris), Céline Frigau Manning (Université Jean Moulin Lyon 3 – IHRIM)
- Philippe Lalitte (Sorbonne Université – Iremus – Collegium Musicae, Paris)
- Emmanuel Reibel (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris – École normale supérieure de Lyon).