Parcours de l'Ĺ“uvre de Isabel Mundry

par Andreas Holzer

Comme Alban Berg, Olivier Messiaen ou György Ligeti, Isabel Mundry â€“ dont l’œuvre suscite une vive attention depuis les annĂ©es 1990 â€“ fait partie des rares personnalitĂ©s reconnues par diffĂ©rents « camps Â» dans la crĂ©ation contemporaine. Et ce n’est pas un hasard si, depuis peu, il arrive qu’on mette son nom en relation avec celui de Bernd Alois Zimmermann, compositeur considĂ©rĂ© comme novateur sans pour autant avoir respectĂ© les tabous du cercle de Darmstadt.

Le cheminement compositionnel d’Isabel Mundry ne peut ĂŞtre attribuĂ© Ă  un courant dĂ©terminĂ© car il se rĂ©vèle multiple et ouvert, mĂŞme si certaines thĂ©matiques y apparaissent de façon rĂ©currente â€“ comme la notion d’espace et ses multiples facettes. Partant de petites formations et d’œuvres aux dimensions restreintes, Mundry a abordĂ© quasiment tous les genres, en les explorant, d’œuvre en Ĺ“uvre, dans l’esprit d’un work in progress. Ainsi, depuis les 11 Linien [11 lignes pour quatuor Ă  cordes] de 1990-1991 jusqu’aux Zeichnungen [Dessins] pour quatuor Ă  cordes et orchestre de 2006, en passant par Linien, Zeichnungen [Lignes, Dessins] pour quatuor Ă  cordes de 2002-2004, sa pensĂ©e chambriste s’élargit Ă  l’écriture pour orchestre, notamment en ce qui concerne la conception spatiale du son.

Les nombreux écrits de l’artiste sur sa musique et sa pensée compositionnelle ont contribué à sa présence croissante dans la littérature musicologique, d’autant qu’elle réussit à éclairer son travail de manière concrète et convaincante. Bien que ces textes fournissent aux exégètes des notions essentielles (le temps, l’espace, le rapport aux autres arts, la pensée contrapuntique), ils n’en recèlent pas moins le danger d’une trop grande focalisation sur ces dernières. Mundry elle-même conçoit ses écrits moins comme une interprétation définitive que comme une proposition de réflexion.

Le temps et l’espace

L’importance du rapport au temps et Ă  l’espace est suggĂ©rĂ©e par nombre de ses titres d’œuvres et d’articles. Certes, la connexion d’aspects spatiaux et temporels est inĂ©vitable dans tout discours musical et pourrait, de ce fait, ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme un phĂ©nomène banal ; mais il existe peu de compositeurs et compositrices dont l’imagination crĂ©atrice soit capable d’y puiser un potentiel aussi important qu’Isabel Mundry. IndiffĂ©rente aux structures abstraites, elle cherche toujours et avant tout Ă  rendre perceptibles les Ă©vĂ©nements musicaux temporels et spatiaux : la tension entre moment et durĂ©e, statisme et mouvement, densitĂ© et vide, avant-scène et arrière-plan, l’émergence et la disparition de sons, le jeu avec l’ambitus et la spatialitĂ© du son, le temps propre des Ă©vĂ©nements instrumentaux et le positionnement des musiciens dans l’espace constituent les points focaux revenant encore et toujours dans sa pensĂ©e compositionnelle.

La pièce pour orchestre Flugsand [Vent de sable] est paradigmatique de la manière dont Mundry connecte les aspects spatiaux et temporels : un ensemble constituĂ© de petits groupes aux effectifs mĂ©langĂ©s est rĂ©parti sur la scène et autour du public de telle façon que la perception n’associe plus, comme c’est l’usage, des familles instrumentales Ă  des emplacements spĂ©cifiques dans la salle. Au moyen d’instrumentations particulières sont crĂ©Ă©s des mouvements dans l’espace qui possèdent aussi des structures temporelles très spĂ©cifiques. Ces effets spatiaux sont clairement perceptibles dès le dĂ©but de l’œuvre oĂą les glissandi descendants des cordes sont confrontĂ©s aux lignes ascendantes des vents. L’œuvre a Ă©tĂ© inspirĂ©e par un cycle photographique de Thomas Wrede qui avait pour objet le choc des oiseaux sur les parois en verre d’un pavillon d’exposition : « Le chemin vers l’imagination musicale n’est pas long car, comme ailleurs, il s’agit ici autant de la perception d’un moment sonore que de l’expĂ©rience de sa relativitĂ© face Ă  l’écoulement fluide du temps1. Â»

Dans le quatuor Ă  cordes No one [Personne] (1994-1995) et dans Gezeiten [MarĂ©es] pour 25 cordes (1995), le manque de coordination rythmique induit par l’absence de barres de mesures exige de chaque interprète un temps propre. Dans Gezeiten, une coordination par un chef d’orchestre serait impensable. Pourtant il en rĂ©sulte, non un chaos anarchique, mais une multiplicitĂ© de rapports Ă  plusieurs niveaux que les interprètes doivent retrouver Ă  chaque nouvelle rĂ©alisation Ă  l’aide des indications portĂ©es sur la partition. Bien que No one soit le fruit d’une annĂ©e d’études Ă  l’Ircam, Mundry n’a utilisĂ© les moyens Ă©lectroniques que dans la phase prĂ©-compositionnelle. De manière gĂ©nĂ©rale, elle n’utilise l’électronique que sporadiquement : dans Gesichter [Visages] (1997), l’électronique projette en temps rĂ©el des Ă©vĂ©nements sonores dans la salle ; dans StĂĽck fĂĽr vier Orte [Pièce pour quatre lieux] (2002), une bande Ă  quatre pistes est mise en relation avec l’installation quadriptyque du plasticien Andreas Schmid.

Ă€ de nombreuses occasions, Mundry a recherchĂ© le dialogue ou la collaboration immĂ©diate avec d’autres artistes, tels l’architecte Peter Zumthor, les chorĂ©graphes Reinhild Hoffmann (Das Mädchen aus der Fremde [La jeune fille Ă©trangère], 2004-2005, Ein Atemzug - die Odyssee [Une respiration - l’OdyssĂ©e], 2002-2005) et Jörg Weinöhl (Nicht ich – Ăśber das Marionettentheater [Pas moi – Ă  propos du théâtre de marionnettes], 2011), ou encore avec la femme de lettres Yoko Tawada (Gesichter). Ces collaborations sont toujours marquĂ©es par un esprit d’ouverture quant aux rĂ©sultats. Ainsi, la collaboration avec Tawada Ă©tait basĂ©e sur la description d’une idĂ©e musicale qui avait inspirĂ© Ă  l’auteure le texte GesICHter2, texte sur lequel se fonde Ă  son tour la mise en musique. Cette dĂ©marche rĂ©vèle aussi la position gĂ©nĂ©rale de la compositrice, selon laquelle un dialogue productif n’est possible que sur la base de la reconnaissance des diffĂ©rences.

Fait remarquable, Isabel Mundry a même coopéré en duo avec un autre compositeur, Brice Pauset, aboutissant à l’œuvre scénique Das Mädchen aus der Fremde et à la pièce de musique de chambre Die Vorüberlaufenden [Les coureurs qui passent] (2003).

La relation aux musiques anciennes

MĂŞme si la relation d’Isabel Mundry avec la tradition musicale est empreinte d’un esprit d’ouverture loin de tout exclusivisme, on ne peut en dĂ©duire qu’elle considère pouvoir l’utiliser ou en disposer Ă  son grĂ©. Tout au contraire, l’artiste a affirmĂ© plus d’une fois que son premier sentiment Ă©tait toujours un sentiment d’étrangetĂ© : « Pour moi, d’un point de vue compositionnel, [la musique du passĂ©] n’est de prime abord pas accessible du tout3 Â». Il n’en reste pas que moins que Mundry s’est confrontĂ©e directement Ă  des pièces fort anciennes. En plus d’une messe d’Antonio Scandello (Scandello-Verwehungen [DissĂ©mination-recouvrement de Scandello], 2010) et de deux PrĂ©ludes non mesurĂ©s de Louis Couperin (Schwankende Zeit [Temps hĂ©sitant], 2008-2009), elle a notamment instrumentĂ© Dufay arrangements pour ensemble instrumental de chambre (2002-2003, augmentĂ© en 2004). Conservant intĂ©gralement le dĂ©roulement diastĂ©matique des chansons de Dufay, l’œuvre vise Ă  mettre en Ă©vidence le tissage des lignes grâce Ă  la subtilitĂ© de ses sonoritĂ©s, tout en accordant encore une fois un rĂ´le important Ă  l’aspect spatial puisque les pièces, groupĂ©es par trois, se caractĂ©risent par diffĂ©rentes dispositions des musiciens dans la salle de concert.

Mais la confrontation avec Dufay â€“ peut-ĂŞtre induite par le travail auprès de Gösta Neuwirth Ă  Berlin â€“ ne saurait ĂŞtre rĂ©duite Ă  une simple adaptation de chansons. L’importance du contrepoint chez Mundry tient certainement Ă  son goĂ»t pour le tressage continu des voix. Le duo en trois mouvements Spiegel Bilder [Images en miroir] (1996), place le rapport Ă  Dufay au centre, notamment en ce qui concerne tant la technique motivique ainsi que le champ de tensions entre ligne et surface. Mais, en raison des lignes aux allures d’arabesques, des structures intervalliques subtiles et d’une grande flexibilitĂ© (notamment Ă  la clarinette), on pourrait aussi y voir une rĂ©fĂ©rence Ă  Claude Debussy. Ensemble ou cĂ´te Ă  cĂ´te, la clarinette et l’accordĂ©on rĂ©vèlent leurs caractĂ©ristiques et temps propres utilisĂ©s pour le dĂ©roulement formel : alors qu’au dĂ©but du premier mouvement, le potentiel opposĂ© des deux instruments est exposĂ© Ă  travers une arabesque de la clarinette suivie aussitĂ´t par les surfaces sonores de l’accordĂ©on, la suite donne lieu Ă  des tentatives de rapprochement, dont la dramaturgie dĂ©termine en grande partie la forme. Mais au-delĂ  de cet aspect, la manière dont sont façonnĂ©s les monologues formant le dĂ©but du mouvement, renvoie Ă  la composante spatiale si importante aussi dans cette pièce : le monologue de la clarinette dĂ©coule d’un Ă©largissement progressif et d’une mĂ©tamorphose multiforme d’une figure de trois notes, processus dans lequel la limite supĂ©rieure de l’ambitus reste globalement stable, alors qu’il s’élargit progressivement vers le bas :



Figure 1 : Spiegel Bilder, mesures 1 à 4, © Breitkopf & Härtel KG, Wiesbaden (EB9105).

À cette ligne, l’accordéon oppose, dans une temporalité différente qui lui est propre, une surface sonore dont l’ambitus glisse de plus en plus vers le bas et dont, parallèlement, l’espace intérieur s’élargit d’une quarte à une double octave. Les miroitements suggérés par le titre de la pièce n’apparaissent pas seulement à petite échelle au niveau motivique dans l’arabesque de la clarinette (exemple musical ci-dessus) mais ils fertilisent également les contours des parties formelles, en ce que la clarinette fait succéder, à la descente mélodique de l’accordéon décrit ci-dessus, une vaste montée symétrique qui, à la fin, rejoint la tessiture aiguë du monologue initial4.

Cette exploration des rapports sonores et structurels entre instruments joue un rĂ´le important dans bon nombre des compositions d’Isabel Mundry. Dans Traces des moments (2000), elle joint Ă  l’accordĂ©on et Ă  la clarinette un trio Ă  cordes dont le potentiel linĂ©aire et sonore noue des relations de parentĂ© avec les deux partenaires instrumentaux ; dans Falten und fallen [Plier et tomber] (2006-2007), elle procède Ă  des rapprochements entre un quatuor Ă  cordes moderne et un piano de l’époque de Mozart (Hammerklavier). La Komposition fĂĽr Flöte und Klavier [Composition pour flĂ»te et percussion] (1998), s’oriente d’emblĂ©e non pas vers la juxtaposition de diffĂ©rences, mais vers la superposition de lignes contrapuntiques ou de gestes sonores apparentĂ©s. Ă€ certains moments, c’est mĂŞme plutĂ´t la flĂ»te qui se charge de la partie percussive (mesure 47 et suivantes).

Espaces harmoniques

Comme Morton Feldman ou les spectraux, Isabel Mundry fait partie des compositeurs/compositrices ayant sorti le paramètre harmonique d’une certaine indiffĂ©rence sans pour autant retomber dans des schĂ©mas nĂ©otonals dĂ©monstratifs (ou dans d’autres formes de systĂ©matisme harmonique). Après le quatuor Ă  cordes No one, elle a rapidement renoncĂ© Ă  de fortes structurations prĂ©alables ; de mĂŞme, les schĂ©mas spectraux ne jouent aucun rĂ´le dĂ©terminant. Dans un texte sur Liaison (2007/08) â€“ une composition sans rĂ©fĂ©rence extra-musicale pour clarinette, violon, violoncelle et piano â€“ la compositrice prĂ©cise ses intentions concernant cette question : « Au-delĂ  de la tonalitĂ©, chaque composition nouvelle pose la question de ce qui peut faire tenir deux sons ensemble, de ce qui fait leur Ă©loignement ou leur rapprochement, de ce qui est relâchĂ© ou reliĂ©. Â» Cette recherche sur les similitudes entre sons est particulièrement frappante dans la pièce pour orgue Innenräume [Espaces intĂ©rieurs] (2005) : que ressent-on comme reliĂ© ou non ? Comme l’indique son titre, la pièce s’emploie Ă  explorer l’espace intĂ©rieur â€“ tant sur les constellations intervalliques, le statisme ou la mobilitĂ©, l’étirement ou la condensation que sur les diffĂ©rents habillages sonores (registrations) â€“ d’un son exposĂ© dans le premier système de la partition :



Figure 2 : Innenräume, mesures 1 à 6, © Breitkopf & Härtel KG, Wiesbaden (EB9021).

Dans Geträumte Räume [Espaces rêvés] pour quatre trompettes (1999), Mundry produit des espaces harmoniques tant par la superposition de quatre lignes parcourant différents espaces sonores que par l’utilisation des multiples possibilités sonores de la trompette afin de simuler (par exemple à l’aide de sourdines) le rapprochement et l’éloignement.

Si ces dernières Ĺ“uvres ont Ă©tĂ© dictĂ©es par des conceptions intrinsèquement musicales, Mundry s’est aussi très souvent laissĂ© inspirer par d’autres arts avec une tendance Ă  Ă©viter des points de rencontre sĂ©mantiquement trop investis. De manière gĂ©nĂ©rale, on peut dire que ces impulsions s’expriment uniquement Ă  travers une forme très transformĂ©e ; quelques fois, cela n’est mĂŞme comprĂ©hensible qu’à travers les commentaires verbaux de la compositrice. Ses impulsions visuelles proviennent de la peinture de Paul CĂ©zanne (Gefächerter Ort [Lieu en Ă©ventail] pour ensemble, 2007), des photographies dĂ©jĂ  mentionnĂ©es de Thomas Wredes (Flugsand), des jardins japonais (Traces des moments) ou encore du film Tystnaden [Le Silence] d’Ingmar Bergman (Le Silence - Tystnaden pour ensemble, 1993). Dans le domaine littĂ©raire, ce sont des poèmes de Friedrich Schiller (Das Mädchen aus der Fremde, 2004-2005), de Heinrich Heine (Wenn [Quand/Si], mĂ©lodie avec et sans paroles, d’après un texte du Belsazar de Heinrich Heine, 2006) ou encore de Durs GrĂĽnbein(Falten und fallen) qui ont dĂ©terminĂ© de diffĂ©rentes manières ses actes compositionnels.

Musique vocale

De manière rĂ©pĂ©tĂ©e, Mundry laisse entendre que les mots ne se laissent pas si simplement traduire en musique, que les correspondances dĂ©bouchent la plupart du temps sur « un rĂ©seau [musical] de relations parce que la structure et la temporalitĂ© de la musique font naĂ®tre de nouvelles rĂ©flexions qui sont purement musicales5 Â». Dans Wenn, le texte oscille entre des mots clairement identifiables, des phonèmes nus et une voix totalement muette ; ainsi, la pièce se meut entre un lied et une mĂ©lodie sans paroles.

Après des Ĺ“uvres vocales aux formats plutĂ´t rĂ©duits, le catalogue d’Isabel Mundry comporte depuis 2002 des Ĺ“uvres dramatiques de plus grandes dimensions. Des trois Ĺ“uvres Ă©crites jusqu’à ce jour (Ein Atemzug - die Odyssee , 2002-05 ; Das Mädchen aus der Fremde, 2005 ; Nicht ich – Ăśber das Marionettentheater, 2011), la première (et plus Ă©tendue) est caractĂ©ristique de l’artiste, ne serait-ce qu’à cause de l’importance particulière donnĂ©e aux aspects spatiaux et temporels. Fidèle Ă  l’esprit du théâtre post-dramatique, elle cherche moins Ă  raconter une histoire (le livret assemble des anagrammes de la poĂ©tesse Unica ZĂĽrn et des textes de Carolin Emcke et Giovanni Pascolis, le texte de l’OdyssĂ©e n’étant pas utilisĂ©) qu’à dĂ©crire des Ă©tats, Ă  Ă©tablir des structures musicales et des sonoritĂ©s. MarquĂ©es du sceau des « espaces d’expĂ©rience et [d]es espaces de rĂ©sonance6 Â», celles-ci laissent deviner leurs caractĂ©ristiques Ă  travers les titres des trois parties de l’œuvre : Gefaltete Zeit – OuvertĂĽre [Temps pliĂ©] pour l’évocation introspective dans le moment prĂ©sent ; Gefächerter Raum [Espace en Ă©ventail] pour le souvenir ; fassen, lassen [saisir, laisser] pour le temps de l’action (souvenir en forme de narration). Tout comme dans les premiers temps de l’opĂ©ra (Monteverdi), les rĂ´les principaux sont associĂ©s Ă  des instruments ou des instrumentistes spĂ©cifiques (Ulysse = trompette, PĂ©nĂ©lope = accordĂ©on). De ce fait, certains instrumentistes jouent d’importants rĂ´les d’acteurs sur scène, oĂą leur prĂ©sence aux cĂ´tĂ©s des chanteurs et des danseurs crĂ©e « une remarquable diversitĂ© de niveaux de narration7 Â».

En Isabel Mundry, nous rencontrons une compositrice qui ne s’est enrĂ´lĂ©e ni dans les dogmes de la musique nouvelle, ni dans un retour nostalgique au passĂ©. Tout au contraire, elle a toujours combinĂ© les multiples confrontations Ă  la tradition avec l’expĂ©rience de la musique nouvelle pour les traduire dans un langage très personnel. En ce sens, son attitude correspond Ă  celle de son professeur Hans Zender, telle qu’il l’a formulĂ©e dans son livre Happy New Ears : « Il est impossible de comprendre la situation postmoderne sans avoir assimilĂ© la modernitĂ©. Or notre sociĂ©tĂ© repousse justement, de plus en plus, la confrontation avec la grande modernitĂ© de notre siècle (…). Il en rĂ©sulte une nostalgie mensongère, une rĂ©gression de la conscience vers le prĂ©moderne, une logique de restauration8 Â». Ainsi, son goĂ»t pour le contrepoint n’a aucune incidence « nĂ©o-baroque Â», de mĂŞme que ses tentatives de sortir l’harmonie d’une certaine indiffĂ©rence ne l’ont aucunement conduite Ă  une intĂ©gration simpliste de structures tonales. Elle cherche plutĂ´t Ă  rĂ©flĂ©chir de manière contemporaine aux possibilitĂ©s de relations sonores â€“ Ă  l’instar d’un Tristan Murail essayant de gĂ©nĂ©rer des qualitĂ©s cadentielles en dehors du langage tonal. En raison de son intense rĂ©flexion sur les catĂ©gories du temps et de l’espace, qui constituent pour elle l’essence mĂŞme de la perception musicale, elle s’inscrit Ă  beaucoup d’égards dans une relation avec d’autres compositeurs et compositrices contemporain-e-s telles qu’Adriana Hölszky (Space, Karawane. Reflexionen ĂĽber den Wanderklang [Espace, caravane. RĂ©flexions sur le son en mouvement] ou Olga Neuwirth (dans Hooloomooloo, trois ensembles se tiennent sĂ©parĂ©ment dans la salle de concert). Avec cette dernière, elle partage l’intĂ©rĂŞt pour diffĂ©rents mĂ©dias, mĂŞme si, lĂ  oĂą Olga Neuwirth assemble frĂ©quemment ces expĂ©riences en collages, Mundry les transcrit le plus souvent dans des structures musicales autonomes. Nous attendons avec intĂ©rĂŞt les chemins compositionnels qu’empruntera â€“ et ses auditeurs avec elle – Isabel Mundry.

Traduit de l’allemand par Dorothea Baritsch

  1. Mundry, Isabel, « Reden und Schweigen – ĂĽber die Anwesenheit und Abwesenheit begrifflichen Denkens in der Musik Â» [« Parler et se taire – sur la prĂ©sence et l’absence d’une pensĂ©e conceptuelle dans la musique Â»], in Michael Polth, Oliver Schwab-Felisch, Christian Thorau (eds.), Klangstruktur – Metapher. Musikalische Analyse zwischen Phänomen und Begriff, Stuttgart, 2000.
  2. Note de la traductrice : VisaJEs (« ich Â» signifie « je Â»).
  3. Mauser, Siegfried, « Kunst und KĂĽnstlichkeit. Ein Gespräch zwischen Siegfried Mauser und Isabel Mundry Â» [« Art et artifice. Entretiens avec Isabel Mundry Â»], in Ulrich Tadday (ed.), Musik-Konzepte, numĂ©ro hors-sĂ©rie Isabel Mundry, Munich, 2011, p. 138-156.
  4. Holzer, Andreas, Zur Kategorie der Form in neuer Musik [La catégorie de la forme dans la musique nouvelle], Vienne, Mille Tre, 2011.
  5. Mundry, Isabel, livret du Cd Kairos, LC10488, 2007.
  6. Mundry, Isabel, « Gefaltete Zeit. Ăśber die Verschränkung von Erinnern und Vergessen in meinem Musiktheater Ein Atemzug – die Odyssee Â» [« Temps pliĂ©. Ă€ propos de l’interconnexion du souvenir et de l’oubli dans ma pièce de théâtre musical Ein Atemzug – die Odyssee Â»], in Andreas Dorschel (ed.), Resonanzen. Vom Erinnern, vol. 47, Vienne, 2007, p. 205-220.
  7. Hiekel, Jörn Peter, « Ein Theater der Suchbewegungen. Zum Musiktheaterwerk Ein Atemzug – die Odyssee Â» [« Un théâtre des mouvements de recherche. Ă€ propos de la pièce de théâtre musical Ein Atemzug – die Odyssee Â»], in Ulrich Tadday (ed.), Musik-Konzepte, numĂ©ro hors-sĂ©rie Isabel Mundry, Munich, 2011, p. 19-36.
  8. Zender, Hans, Happy New Ears, Fribourg en Brisgau, Herder Verlag, 1991.
© Ircam-Centre Pompidou, 2016


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