Cette œuvre comporte trois pièces qui marquent au même titre que le cycle de mélodies de l'opus 15, Les Jardins suspendus, l'effacement de la tonalité dans l'écriture de Schoenberg. Une harmonie non fonctionnelle utilise des accords impossibles à classer, par le truchement d'une écriture constamment chromatique. L'accord parfait est absolument évité et l'octave n'est utilisée que comme redoublement ; en revanche, il y a une profusion d'intervalles de plus grande tension comme la septième majeure, la neuvième mineure et la quarte augmentée ; de plus, il est fait appel à la complémentarité des intervalles dans le but d'obtenir presque à chaque instant le total chromatique. Les trois pièces sont de caractère très différent. La première oppose une phrase mélodique dans un tempo modéré à des passages plus animés où fusent des arpèges rapides et feutrés. La seconde, la plus longue du recueil, déroule un thème lent et sombre sur un ostinato de croches, puis, après deux développements menant à un paroxysme dans le registre aigu du clavier, on revient au thème premier. La troisième pièce accuse des contrastes violents dans un mouvement agité ; elle est très rhapsodique et, du point de vue de l'écriture, c'est certainement la plus intéressante de tout le cahier. On peut voir dans ce récitatif très libre un des premiers essais de Schoenberg, et, des plus concluants, à créer une forme en constante évolution.
Pierre Boulez, Relevés d'apprenti, Paris, Seuil, 1966, programme du Festival d'Automne à Paris, 1980